Le World Wide Web a libéralisé l’expression. La toile donne désormais une voix à chacun et amplifie les opinions du monde entier. Mais cette vaste agora virtuelle atteint aussi ses limites : tous les avis ne se valent pas en termes de pertinence et de crédibilité.
En ligne, chaque jugement semble avoir la même importance, ce qui pose de sérieuses questions sur la véracité et l’influence des propos émis. Par ailleurs, cette fausse égalité masque également des dérives : abus de pouvoir, désinformation, dilution du savoir…
Dans cet article, explorons les dangers de cette « démocratie numérique » à l’aide d’exemples concrets, avant de parcourir les bonnes pratiques pour naviguer avec précaution dans cette houle de contenus.
Démocratie d’opinion ou tyrannie des amateurs ?
Malgré la formidable avancée que représente cet accès facilité à la culture et à l’actualité, ce dernier crée également des déséquilibres, car on en vient parfois à ignorer la pertinence des sources.
Internet : la liberté d’expression sans filtre
En quelques clics, n’importe qui peut créer un blog ou un profil sur les réseaux sociaux, puis atteindre une audience immense. Une avancée enrichissante dans les domaines culturel, scientifique et éducatif.
Wikipédia est un exemple éloquent : la plateforme invite les internautes à contribuer à la construction d’une encyclopédie mondiale. Fondé pour rassembler des connaissances collectives, ce projet a rendu le savoir accessible au plus grand nombre. Toutefois, cette liberté d’expression sans filtre amène également son lot de problèmes, en particulier lorsqu’on s’interroge sur l’autorité et la fiabilité des données qui y sont partagées.
Quand l’incompétence devient un atout
Sur certaines plateformes, des voix parviennent à dominer les autres, non pas par leur pertinence, mais plutôt grâce à leur capacité à se faire entendre. C’est ainsi que des biais apparaissent.
Chez WebCleaner, nous avons vécu une expérience qui illustre parfaitement ces dérives. Un administrateur de Wikipédia a utilisé son attribution pour créer une page sur lui-même après avoir écrit un livre alors, qu’en parallèle, il a refusé la diffusion d’une page sur un guitariste, pourtant disque d’or et de platine, pour des raisons non justifiées. Nous avons tenté de rediffuser la page du musicien, bien rédigée et sourcée… Sans succès. Notre accès à Wikipédia a même été bloqué. Ce refus semble lié à un conflit personnel antérieur entre l’administrateur et l’artiste. Un cas qui démontre comment certains abusent de leur autorité digitale lorsqu’aucun encadrement ne limite leurs actions.
Mais d’autres exemples existent, avec des résultats délétères : l’audience publique est manipulée, la politique se polarise et le savoir se dilue.
Les conséquences du pouvoir médiatique sur le public
Cyril Hanouna représente un exemple parfait de l’abus médiatique. Pour vendre de l’émotion sans intelligence, l’animateur surfe allégrement sur les infox et polémiques. Son seul objectif est de réaliser les meilleurs scores d’audience. Une attitude qui l’a conduit à être écarté de son émission « Touche pas à mon poste ».
Ce règne sur les médias dégrade la qualité des débats publics : les théories simplistes et les excès réactionnels, souvent déconnectés de la réalité, deviennent la norme pour capter un maximum d’audience.
Les dérives dans l’espace politique
L’exemple de Donald Trump et de l’assaut du Capitole en 2021 illustre comment une figure publique influente peut manipuler une populaton et inciter à des actions violentes. L’impact de la voix d’une figure aussi importante que le président des États-Unis montre à quel point un pouvoir mal encadré peut devenir dangereux. Ses paroles ont non seulement incité des milliers de personnes à se révolter, mais ont également mis en danger la stabilité démocratique des Etats-Unis.
© Bill Clark/CQ-Roll Call, Inc via Getty Images – Le Monde
Lorsqu’une population est manipulée à grande échelle, par une personnalité bénéficiant d’une large audience, les réponses peuvent être extrêmement néfastes.
Tout le monde est un pro
Ou pas ! Connaissez-vous Thierry Casasnovas, le « gourou du crudivorisme » ? Son cas démontre comment des internautes non qualifiées peuvent, grâce à la visibilité d’Internet, propager des croyances pseudo-scientifiques, avec des effets potentiellement graves sur la santé publique.
Cette dynamique, où des renseignements inexacts se mêlent aux connaissances validées, déstabilise le transfert des savoirs. Les utilisateurs se trouvent ainsi confrontés à un mélange dangereux de faits et d’affabulation, qui brouille leur capacité à prendre des décisions éclairées.
Les dangers des avis infondés
L’une des conséquences de la prolifération de l’expertise fantaisiste est la diffusion de rumeurs, de contrevérités et même de commentaires diffamatoires ou proprement dénigrants. Pour les entreprises, les répercussions sont désastreuses, notamment sur des plateformes comme Google My Business, où des avis biaisés ou malveillants nuisent directement à leur image publique.
Dans le cas des fiches Google concernant les médecins, les avis laissés par des patients posent là aussi la question de l’aptitude à diffuser son opinion, quand ce dernier, non qualifié en médecine, laisse un commentaire péjoratif et que le docteur ne peut y répondre en vertu du secret médical. Une question explorée en profondeur dans notre article : « La réputation numérique des entreprises : une invention du 21e siècle »
Le paradoxe du savoir-faire, souvent autoproclamé
L’ère numérique a amplifié l’expression individuelle au point que chacun peut désormais se présenter comme un spécialiste. Mais qu’en est-il de la valeur réelle de ces facultés ? Le paradoxe est que, si la technologie permet de partager librement des connaissances, elle a aussi contribué à la dévalorisation du concept même d’expertise.
Les termes « coach », « consultant » ou « expert » sont devenus des titres génériques, utilisés à tort et à travers sans formation appropriée ou expérience significative. Ce phénomène crée une confusion importante auprès du public qui peine à distinguer la qualification de l’improvisation. Voici quelques exemples flagrants :
Coachings sans qualifications
Les coachs « bien-être », sans véritable diplôme, illustrent bien l’abus de l’auto-proclamation dans les métiers du développement personnel. Une enquête menée en 2023 a révélé que 80 % des thérapeutes examinés présentaient des irrégularités, telles que des faux certificats ou des pratiques abusives.
D’ailleurs, en réponse, Doctolib a retiré plus de 5 700 praticiens de sa plateforme, dont des naturopathes, sophrologues et magnétiseurs, faute de certifications reconnues.
Gourous du web
Les gourous digitaux, qui vendent des promesses de succès et de richesse via des formations coûteuses, reflètent l’un des principaux problèmes de l’absence de contrôle du professionnalisme sur la toile.
Ces pseudo-connaisseurs utilisent des techniques de marketing agressives et séduisantes pour attirer un public en quête de réponses simples. Ainsi, ils transforment leurs activités en business lucratif. Pire, ils s’en servent parfois pour abuser des adeptes, à l’instar de Gregorian Bivolaru, Fondateur du Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu (MISA). Ce criminel a été mis en examen en décembre 2023 pour « viols », « abus de faiblesse », « séquestration » et « traite d’êtres humains en bande organisée ». Ce gourou roumano-suédois de 71 ans est accusé d’avoir mis sous emprise des femmes à des fins d’exploitation sexuelle au sein de son mouvement international de yoga.
Influenceurs trompeurs
Les « influvoleurs » démontrent les dangers de la non-régulation de ce nouveau métier star sur les réseaux sociaux. En 2023, les autorités ont constaté que 60 % des influenceurs vérifiés promouvaient des produits trompeurs, risqués, voire nuisibles pour la santé.
Par leur visibilité, ces personnes exploitent la confiance aveugle de leurs abonnés et affectent directement les décisions de leurs communautés.
Les conséquences sur la confiance et le crédit des entreprises
Cette situation est symptomatique de l’essor des « bullshit jobs », des titres ronflants qui masquent l’absence de compétences réelles. Contrairement aux professions comme ingénieur ou professeur, qui nécessitent des années de formation et de rigueur, ces nouveaux « maîtres en la matière » s’arrogent des aptitudes illégitimes. Cela entraîne des répercussions graves, tant sur le plan individuel que collectif.
Prenons l’exemple de la diffusion d’intox médicales. Une rumeur relayée par des charlatans prétend que la chimiothérapie présente un taux d’échec de 95 %, ou 97% selon les versions. Ces chiffres sont faux, mais leur diffusion massive influence directement les choix de santé de nombreux patients. Certains sont ainsi dissuadés de suivre des traitements scientifiquement prouvés, ce qui met leur vie en danger.
Par leur visibilité, ces personnes exploitent la confiance aveugle de leurs abonnés et affectent directement les décisions de leurs communautés.
Autre cas : les gilets jaunes. Les leaders d’opinion, au sein du mouvement ont partagé des déclarations malhonnêtes, notamment sur des sujets tels que l’immigration ou le RSI (le régime de sécurité sociale des indépendants jusqu’en 2017). Ils ont ainsi dérivé et alimenté une colère populaire, qui n’était alors plus justifiée au regard des véritables causes des injustices dénoncées (bas salaires, coût de la vie). Ces déformations de faits ont intensifié les tensions sociales et suscité de vives réactions, parfois violentes, lors de manifestations.
Nos conseils pour faire le tri dans l’infobésité
Face à l’avalanche de sites web, voici quelques conseils pour discerner leur valeur réelle :
- Vérifier l’auteur : Privilégier les articles provenant de médias reconnus ou d’experts qualifiés.
- Se méfier des titres accrocheurs : Les titres sensationnalistes sont souvent là pour capter l’attention, mais manquent de profondeur.
- Utiliser des outils de fact-checking : Des plateformes comme AFP Factuel, les Décodeurs (Le Monde) ou le Vrai ou faux de FranceTV permettent de vérifier la véracité des actualités.
- Faire preuve de sens critique : Apprendre à analyser de manière critique permet de lutter contre la crédulité et de détecter la tromperie.
- Exiger des liens et des preuves : Vérifier que des liens vers des études, statistiques ou sources primaires sont présents. Un article sans preuve n’est pas fiable.
- Analyser la date de publication : Consulter uniquement des parutions récentes, car les études et faits évoluent vite.
- Analyser l’intention derrière le contenu : Évaluer le but du texte : informatif, commercial ou polémique ? Les articles destinés à vendre un produit ou une idée manquent souvent de neutralité.
- Utiliser l’outil de lecture latérale : Rechercher l’auteur et le site sur d’autres plateformes afin d’évaluer la notoriété du journaliste.
- Mener une analyse comparative : Comparer toujours une donnée avec d’autres sources similaires. Un avis ou un fait isolé doit être corroboré par d’autres publications crédibles.
WebCleaner encourage les particuliers, professionnels et entreprises à privilégier les sources officielles et vous propose plus de solutions dans l’article : « Fausses nouvelles, vrais dangers : l’impact des fake news sur la société ».
Dans cet immense espace qu’est Internet, chaque voix peut se faire entendre, mais toutes les convictions ne se valent pas. Il est primordial pour chaque utilisateur de comprendre la responsabilité qui lui incombe lorsqu’il partage ou consomme de l’information en ligne, car l’égalité des voix n’est pas et ne peut être l’égalité des compétences et des connaissances.